jeudi 24 mars 2011

De Tijikja à Chinguitti, la belle traversée du 20 au 30 octobre 2010

Randonner cette année en Mauritanie




Le contraste entre le bonheur de mes amis guides : « il a bien plu cette année, les pâturages sont bons, les nomades seront sur ce parcours, c'est vraiment le moment d'y aller ! » et les formelles mises en garde des autorités de mon pays : «dernière minute : Les autorités françaises rappellent qu’elles déconseillent formellement tout déplacement dans les zones signalées en rouge... Le reste du pays ... est déconseillé sauf raison impérative... » est sans appel. Il faut trancher. J'ai tranché pour effectuer cette grande traversée de rêve entre deux des villes historiques de la Mauritanie. J'en reviens émerveillée, et souhaite aux amoureux des parcours en pleine nature de saisir de telles occasions.

Ironie du hasard, le parcours flirte gentiment avec la ligne « rouge ». Sur le terrain, nous avons rencontré partout la même paix, la même gentillesse, la même tolérance souriante.


Pour préciser mon sentiment une fois pour toutes : je ne dis pas qu'arpenter la Mauritanie met miraculeusement à l'abri des affres du monde. Le monde est à feu et à sang, aucun lieu n'est préservé d'en être éclaboussé. Mais la population mauritanienne n'y peut ni plus ni moins que la population française, et leur pays ne mérite pas plus d'être stigmatisé que ne le méritait le nôtre, par exemple, ce jour affreux où le RER a sauté à la station Port Royal à Paris.
Or donc, c'est le sourire des enfants de Tijikja, ravis de s'arrêter quelques minutes sur le chemin de l'école et de poser devant nos trois dromadaires, qui nous souhaite bon départ.


« Cette année, le désert est vert »

en effet un désert bien vivant que la traversée dévoile. Le vert est partout, même s'il ne fait qu'accompagner le minéral : en réalité, le désert est noir et vert, brun et vert, or et vert....
Tout au long du trajet, nos dromadaires se nourriront en suffisance en pâturant lors des pauses et dans la nuit. Un grand sentiment d'harmonie se dégage d'un tel cheminement où les animaux sont accordés au terrain.
Très vite, le dromadaire que je monte m'apprendra les plantes les plus savoureuses, au sommet desquelles trônent les « telebouts » ( البوت ت), petites touffes émergeant du sable, et qui, a fermement expliqué ma monture, méritent un large coup de dents même lorsque l'on est en chemin...


Les troupeaux sont au rendez-vous, et c'est une joie, après une journée ou deux de marche solitaire, d'apercevoir installés au pâturage un groupe de dromadaires avec les chamelons blancs de l'année, un troupeau de mouton à proximité d'une Kaïma blanche, ou de croiser des nomades en déplacement avec leur troupeau de chèvres et de moutons.

Nous avons eu la chance de faire ainsi trajet commun pendant deux journées avec un père et son fils menant un troupeau vers Chinguitti, et de faire halte à plusieurs reprises à proximité d'une tente familiale.

Que ce soit pour une brève halte ou pour la nuit, échanges d'informations, offre de boissons (thé s'il y a le temps, zrig à la volée, incomparable lait juste trait pour nous), sourire et moments tranquilles partagés ont toujours été présents. Les savoirs-faire nomades et l'hospitalité des gens du désert sont bien vivants en Mauritanie, rien d'une légende ni d'une reconstitution pour touristes, la vie comme elle bat...


Un cheminement au sein d'une belle variété de paysages


Onze jours de cheminement essentiellement nord, au long d'une succession de paysages bien individualisés. Dénivelé modeste, pas de ruptures brutales, et pourtant le paysage pierreux où l'on était immergés semble-t-il pour des jours s'est ensablé, puis le lendemain la mer de dunes vous dépose sur un reg, qui se transformera insensiblement en pâturage...

Chaque type de paysage a son charme, ses difficultés, ses cadeaux. Les grandes bathas (Tijikja-Rachid-
Taoujet, Chig), larges fonds sableux des oueds lorsqu'ils ne coulent pas, forment des routes commodes, et nourrissent les indispensables puits.

Les plaines de pierres forment une partie sévère, comme le long Ewaïm Elberd ( os froid ) et la Tarfwatwat, mais autorise un cheminement sûr et de quoi pâturer. Les grandes mers de dunes sont un enchantement pour les yeux, propreté immaculée, formes superbes, mais demanderont efforts et attention aux dromadaires, et jusqu'aux regs grisâtres, sans charmes à première vue, qui ont le confort d'une piste d'athlétisme, et gardent les
empreintes bien plus fidèlement que le sable.

S'il fallait ne garder qu'un moment, je privilégierais l'émotion des M'getta, les passages, qui mènent à travers dunes d'une zone à l'autre, et d'abord le grand M'getta qui trace la route entre l'oued Chig et les falaises d'Arouassat. Un lieu où se révèle tout le savoir faire du guide Nemoud, les dunes, objets mouvants, modifiant sans cesse le cheminement : la connaissance vivante du terrain, sa mise à jour par le contact permanent avec les nomades parcourant la région, ne sera jamais remplaçable par un point GPS.

Boire
La beauté des accumulations d'eau temporaires contraste avec l'extrême modestie des puits – mais c'est bien de ces derniers dont dépend la sûreté du cheminement. Eux aussi évoluent au gré de leur utilisation ou abandon par les nomades. Nous emportions 2 bidons de 20 litres et un de 10, notre réserve, plus un bidon de 10 litres qui contenait l'eau filtrée et traitée que je consommais.


Nous pouvions ainsi tenir trois jours entre deux puits, et n'avons été justes qu'en un seul point du parcours - la rencontre fortuite de deux nomades surveillant leur troupeau de dromadaires nous a évité l'étape de nuit envisagée, grâce à une flaque résiduelle, modeste et quelque peu malmenée par le troupeau, mais suffisante pour nous donner la marge de sécurité souhaitée.


Les dromadaires se seraient accommodés d'une offre bien plus rare, même si après une longue étape de
dunes ils apprécient ici manifestement le rafraîchissement offert par le puits de l'oasis ElGuella.


En ce qui me concerne, avec cette précaution de filtrage et traitement, je n'ai eu aucun souci. La seule restriction à laquelle le guide Nemoud m'a impitoyablement soumise a concerné le zrig, boisson à base de lait battu et d'eau, délicieuse offrande que nous ont proposée les tentes nomades rencontrées. En un rituel immuable, et quelle que soit mon envie, Nemoud goutait lentement, soigneusement, et rendait son verdict : tu peux - ou tu ne peux pas – boire. Je n'ai jamais eu à le regretter.

A même la terre : avancer léger
Pour le reste, diète de base stricte, galette cuite sous le sable et riz parfumé de quelques oignons et de haricots; quelques conserves. Mais largement égayée dès que possible par les ressources locales, petites pastèques jaunes, lait, et un mémorable méchoui auprès du village d'Ain Sabra.


Le bois mort récolté en chemin pour obtenir les braises sur lesquelles on posera la petite théière et sous lesquelles cuira la galette. Pas de tente, la belle étoile n'ayant jamais mieux mérité son nom. Ici il est vraiment possible de vivre à même le sol. Ainsi nous allons « léger », même si l'équipement des trois dromadaires est l'objet d'un soin très attentif aux départs du matin (bien avant le lever du soleil) et de l'étape du soir (quand la chaleur commence à tomber).

La connaissance intime du terrain remplace la logistique lourde.

A tous ceux que les grandes traversées font rêver, venez arpenter la Mauritanie, à pied et à dromadaire (plus facile pour les cavaliers mais possible pour tous...). Pour votre bonheur, et pour ces hommes et ces femmes admirables qui gardent le désert vivant !

Avec mes plus vifs remerciements à Sidi Mohamed, adorable chamelier, et Mohamed Mahmoud Bewba Nemoud, grand guide !
Sarah, 6/11/2010
sarah.claude50@gmail.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire